La grosse difficulté de la prévision météorologique est que le chaos – au sens mathématique du terme – règne sur l'atmosphère. Cela signifie que, du fait de la cohabitation de toutes les échelles d'espace et de temps dans l'atmosphère et des interactions entre elles, deux états de l'atmosphère qui n'ont entre eux qu'une différence minime – le fameux « battement d'aile d'un papillon » – vont au bout d'un certain temps évoluer de manière complètement différente. Autrement dit, pour pouvoir prévoir l'état futur de l'atmosphère il faudrait en connaître la totalité de l'état actuel jusqu'à l'échelle moléculaire. Cette connaissance étant matériellement impossible, la prévision météorologique est impossible. Et voilà !
Cependant comme la divergence d'évolution entre deux états voisins est progressive, on peut dire que a) mieux on connaît l'état initial, mieux on peut prévoir l'évolution, b) quoi que l'on fasse l'incertitude sur la prévision augmente avec l'échéance, et c) on estime aujourd'hui que l'horizon limite au delà duquel la prévision restera inaccessible est de l'ordre de deux semaines. Sachant que pour préparer un week-end de ski-alpinisme en car-couchettes il faut une prévision à 5 jours, du mardi pour le dimanche, tous les espoirs sont permis, l'expérience montre que sur les dernières décennies on a réussi à gagner un jour d'échéance tous les dix ans.
Commençons par illustrer cette cohabitation des différentes échelles dans l'atmosphère. En fait, toutes les vidéos présentées plus haut illustrent ce fait, mais en voilà deux autres images.
Figure 1
La figure 1 est une carte météorologique montrant le mouvement de l'atmosphère aux environs de 5500 m d'altitude. Les lignes sont les lignes de niveau de la surface fictive où la pression atmosphérique est de 500 hectopascals, soit vers le milieu de l'atmosphère. Un relief se dessine de trous, sur la Mer du Nord et le Labrador, et de bosses, ligne de crête sur le méridien 20 °W. Le vent est tangent à ses lignes et s'écoule en gros de l'Ouest vers l'Est (sauf autour des creux!). Cette carte dessine le mouvement de l'échelle des grandes perturbations de plusieurs miliiers de kilomètres de dimension.
Figure 2
La figure 2 est une image de Méteosat dans les longueurs d'onde du visible. C'est au lever du soleil sur l'Europe. Le soleil est à l'Est (on s'en doutait...) et peu élevé ce qui produit des ombres bien marquées dessinant le relief de la couverture nuageuse. Une petite perturbation centrée sur la Suisse étend ses « fronts » vers la Méditerranée et la Mer du Nord. Ailleurs, un fatras de phénomènes nuageux de toutes tailles, inorganisés en apparence, illustre la complexité du problème. On note tout de même que les Pyrénées, par leur effet de barrière imposent une organisation à leur échelle.
Les outils
Aujourd'hui la prévision est basée sur des ordinateurs sur lesquels on fait fonctionner des logiciels de simulation numérique de l'atmosphère, appelés « modèles numériques de prévision » dans le jargon. Ces simulateurs appliquent par le calcul les équations de la mécanique et de la thermodynamique à un état initial de l'atmosphère défini à partir de l'ensemble des observations météorologiques, et permettent d'obtenir la description d'un état futur. Il n'existe pas d'outil numérique qui puisse traiter à lui seul la totalité des échelles depuis la prévision locale pour l'après-midi à la prévision mondiale pour dans une semaine – ou plus exactement il n'existe pas encore d'ordinateur assez puissant pour mettre en œuvre un tel outil – ce qui contraint les opérateurs météorologiques à entretenir toute une panoplie de modèles numériques. Nous y reviendrons plus loin.
Les produits destinés aux utilisateurs sont soit fabriqués automatiquement à partir des résultats de calcul des modèles de prévision (post-traitement par des logiciels spécialisés, exemple carte de vent prévu à la surface de la mer) soit élaborés par des prévisionnistes (exemple bulletin pour la montagne sur répondeur téléphonique ou accessible par Internet), soit (souvent) des produits automatiques validés ou corrigés par des prévionnistes (exemple des bases de données du temps prévu qui serviront elles-mêmes à générer les pictogrammes d'un affichage sur Internet).
Les progrès de la prévision numérique réduisent peu à peu le domaine de pertinence de l'expertise humaine. De ce point de vue, la montagne reste un « îlot de résistance » : la complexité du problème d'adaptation locale fait que le prévisionniste humain a encore – mais probablement pas pour longtemps – la possibilité d'apporter de la valeur ajoutée à la production des outils numériques.
Simulation numérique de l'atmosphère
Un modèle numérique d'atmosphère, c'est assez compliqué au niveau des détails de la mise en œuvre, mais en tant que concept c'est très simple. Le fluide atmosphérique est de l'air en déplacement, plus ou moins chaud, plus ou moins humide, contenant plus ou moins d'eau liquide ou de glace, constituant les nuages. On le décrit par les valeurs des paramètres pression atmosphérique, température, humidité de l'air, vitesse et direction du vent, contenu en eau liquide à un instant donné aux points d'un treillis de plusieurs milliers de points.
Figure 3
La figure 3 illustre un type de maillage tridimensionnel utilisé pour la représentation numérique de l'atmosphère. La surface terrestre est couverte d'un pavage de « boîtes » dont les dimensions horizontales typiques vont, selon le type de modèle, du kilomètre à la centaine de kilomètres, tandis que l'épaisseur va de quelques mètres au kilomètre. Les couches successives s'empilent comme des pelures d'oignon, l'épaisseur des couches de « boîtes » augmentant avec l'altitude.
Chaque « boîte » est alors considérée comme un « point » et on affecte à ce « point » la valeur moyenne des différents paramètres pour la « boîte » qu'il représente. Nous avons ainsi notre représentation numérique de l'atmosphère à un instant donné, pour autant que nous soyons capable d'affecter une valeur à chaque paramètre en chaque point à partir des observations météorologiques disponibles au voisinage de cet instant.
Il ne reste plus qu'à faire évoluer ces valeurs pour prédire l'état futur. Pour cela on applique les équations de la mécanique et de la thermodynamique à notre atmosphère numérique. Là encore, si on s'en tient aux grandes lignes c'est très simple. Ces équations sont la loi fondamentale de la mécanique (si on applique une force on crée un mouvement), la loi fondamentale de la thermodynamique (si on apporte de la chaleur on échauffe) plus l'équation d'état d'un gaz reliant pression et température et les équations de conservation de la masse et de la vapeur d'eau au cours du mouvement.
Si on entre dans le détail cela devient plus compliqué d'une part parce que le traitement numérique de ces équations n'est pas trivial, d'autre part, et surtout, parce que l'atmosphère n'est pas très coopérative. Son comportement chaotique, déjà mentionné plus haut fait que l'idée même de représenter le fluide continu par des valeurs en un nombre fini de points séparés pose de sérieux problèmes théoriques et pratiques. Il fait aussi que le modèle, aussi perfectionné soit-il, ne peut jamais être une représentation exacte : cet écart même minime au départ entre calcul et réalité fait que l 'état prévu de l'atmosphère est obligatoirement incertain avec une marge d'incertitude qui augmente dans le temps.
En pratique
Prenons l'exemple de Météo-France. Quotidiennement la prévision met en œuvre trois étages de simulation :
Modèle européen (European Centre for Medium-range Weather Forecast, Reading, UK). Il a une couverture mondiale avec une maille de 20 km. Il est utilisé pour la prévision de 2 à 15 jours (pratiquement sans valeur au delà de dix jours). Pour chaque prévision, 50 prévisions différentes sont effectuées en perturbant légèrement les conditions initiales (prévision d'ensemble) de manière à explorer en partie l'univers des états possibles auxquels l'atmosphère pourrait aboutir en partant de l'état initial du jour. Cela permet une approche probabiliste de la prévision. L'indice de confiance donné par Météo-France pour les prévisions au-delà de quatre jours est basé sur ces résultats.
Modèle français ARPEGE. Sa couverture est mondiale avec une maille de 10 km sur la France. Il sert pour la prévision jusqu'à quatre jours. Il est aussi accompagné d'une prévision d'ensemble optimisée pour explorer les échéances proches.
Modèle français AROME. Il couvre un domaine de 1300 km x 1500 km avec une maille de 2,5 km. Il est « non-hydrostatique », c'est-à-dire qu'il a la capacité de traiter explicitement les fortes vitesses verticales associées aux nuages d'orages. Il sert pour la prévision jusqu'à 30 heures, soit en pratique, le matin pour la journée et le soir pour le lendemain. Son objectif principal est l'identification des phénomènes dangereux, orages ou fortes pluies.
Ces modèles visent des échelles spatio-temporelles différentes : plus on regarde large et loin moins on peut voir de détails. Les bulletins de prévision dérivés des productions de ces différents modèles ont des apparences voisines mais offrent des informations de nature différente pour l'utilisateur.
Avant d'entre plus dans le détail à ce sujet, notons que, en particulier, la montagne n'a pas la même allure dans les différents modèles. C'est ce que montre la figure 4.
Figure 4
L'image de gauche présente l'image des Alpes vues par ARPEGE (maille de 10 km). Ce relief adouci pourra jouer le rôle de barrière et le modèle pourra représenter les effets qui en découlent mais pas les effets de dimension inférieure. L'image de droite est celle de AROME avec une maille de 2,5 km. Les grandes vallées et les différents massifs deviennent visibles. Avec ce modèle on pourra voir par exemple l'effet d'abri de la crête Thabor-Olan par flux d'Ouest à Nord-Ouest.
Les bulletins de prévision
Prenons l'exemple de skieurs-alpinistes parisiens qui préparent leur week-end dans les Alpes. Ils s'intéressent au temps qu'il fera le dimanche et se procurent chaque jour le bulletin « Montagne » de Mété-France. En fonction de l'échéance et donc du modèle numérique sur lequel le bulletin est fondé, le type d'information qu'ils reçoivent concernant le temps du dimanche est le différent :
Le mardi et le mercredi le bulletin décrit un scénario (mais il pourrait y en avoir d'autres) et donne un indice de confiance. L'échelle de l'indice de confiance va de 1 à 5 mais les niveaux 1 et 5 ne sont pas utilisés. Le niveau 2 signifie « confiance plutôt faible dans la réalisation du scénario », 3 « confiance moyenne » et 4 « confiance plutôt forte ». Parfois, le rédacteur du bulletin s'essaye à plus de précision, donnant par exemple une chronologie sur samedi et dimanche. Cette précision est assez largement illusoire en l'état des techniques au début 2013.
Le jeudi et le vendredi le scénario est maintenant raisonnablement certain et on peut entrer un peu plus dans le détail, par exemple indiquer le passage ou non d'une perturbation dimanche, même si la chronologie n'est pas garantie. On aura aussi une description plus ou moins précise au niveau du massif.
Enfin, le samedi le bulletin dit le temps qu'il fera demain .
Il faut noter que le découpage ci-dessus n'est pas complètement rigide. D'une part la prévisibilté n'est pas la même pour toutes les situations. Dans le cas d'un anticyclone bien installé, il n'est pas nécessaire d'attendre la veille du jour J pour dire qu'il fera grand beau. D'autre part, l'appréciation du niveau de risque que l'on peut prendre en annonçant des détails incertains dépend non seulement des rédacteurs des bulletins, mais même du service auquel ils appartiennent. C'est ainsi que actuellement dans les bulletins de MétéoSuisse, c'est dès le mardi, au lieu du jeudi pour Météo-France que l'on trouve une prévision pour le dimanche présentée comme une certitude. Et le découpage change au fil des années avec l'amélioration de la prévision numérique.
Dans la section suivante, mous reviendrons sur la question de la fiabilité de la prévision en essayant de donner des indications quantitatives sur l'évolution de l'incertitude en fonction de l'échéance. Mais regardons d'abord l'exemple des bulletins de Météo-France pour le dimanche 2 décembre 2012 sur les Hautes-Alpes et la Savoie, exemple choisi au hasard.
Prévisions pour le dimanche 2 décembre 2012 |
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Hautes-Alpes |
Savoie |
le mardi |
De samedi 1 à mardi 4 . Froid. Temps froid avec un ciel partagé entre éclaircies et passages nuageux pouvant donner quelques giboulées. Les nuages sont plus nombreux sur le relief proche de l'Isère et de la Savoie tandis que les éclaircies prédominent par moment sur le sud des Hautes-Alpes, la vallée de la Durance et les massifs situés à l'est ainsi que dans la vallée de l'Ubaye. (Indice confiance sa et di est 3/5) |
Samedi 1 et dimanche 2 : Le refroidissement s'accentue de nouveau, dans un courant d'altitude de Sud-Ouest faible Samedi, puis d'Ouest plus rapide Dimanche. Journées partiellement ensoleillées, quelques averses de neige Dimanche après-midi. Indice confiance 3/5. |
le jeudi |
Le ciel est par moment nuageux sur le relief proche de l'Isère et de la Savoie tandis que des éclaircies sont présentes au sud et à l'est |
Ciel nuageux avec de très faibles chutes de neige jusqu'en basse vallée essentiellement sur le Nord de la Savoie. |
le samedi |
Rapidement en matinée, des nuages prennent d'assaut les régions voisines de la Drôme, de l'Isère et de la Savoie. Ils apportent quelques flocons du Bochaine au Thabor qui finissent tout au plus par former un léger saupoudrage d'ici la fin de journée. Sur les autres régions et l'Ubaye, de belles éclaircies résistent. |
Le ciel est couvert et les reliefs sont parfois dans les nuages. De faibles chutes de neige débutent le matin avec une limite pluie-neige en plaine, elles se terminent en soirée après avoir déposé 3 à 12 cm de neige au sol. |
vérification |
A Orcières, beau le matin, se couvre en milieu de journée avec faibles chutes de neige dans l'après-midi. Belle journée en Queyras et Ubaye |
A Courchevel, couvert toute la journée avec faibles chutes de neige. |
La vidéo 8 montre ce qui s'est passé le dimanche. On est dans un type de temps d'Ouest avec un effet d'abri très marqué de la crête Thabor-Olan pour les Alpes du Sud.
On voit bien sur l'image satellitaire les Alpes du Sud qui semblent émerger des nuages comme un pied de sous la couverture.
Le rédacteur du bulletin de mardi pour les Hautes-Alpes donne beaucoup de détails, jusqu'au niveau des différents massifs et vallées. Il n'aurait pas dû, cela aurait évité de dire des choses incorrectes ! Il n'aurait pas dû en réalité en écrire plus que le rédacteur du bulletin du jeudi, qui ne contient pas plus d'information que celui de mardi mais qui au moins ne donne pas une fausse impression de précision. Le bulletin de samedi donne des précisions justifiées. Il est tout à fait juste pour le Nord du département sur lequel le mauvais temps venant de l'Isère déborde un peu, un peu moins bon pour le Sud qui a eu du grand beau toute la journées au lieu de « belles éclaircies qui résistent ». Mais ne chipotons pas, il s'agissait d'une bonne prévision.
Pour la Savoie la prévision était bonne aussi mais le même problème s'est produit pour le bulletin du mardi : le prévisionniste de Bourg-Saint Maurice, peut-être encouragé par un indice de confiance de 3/5 s'est laissé aller à annoncer « quelques averses de neige dimanche après-midi » ce qui implicitement exclut qu'il puisse y en avoir le matin. Impossible, en réalité, d'avoir une telle précision dans la chronologie 5 jours à l'avance ! En fait il y a eu des averses de neige toute la journée.
On peut regretter d'une manière générale que les bulletins montagne utilisés par des spécialistes que sont les skieurs-alpinistes soient aussi « verbeux ». Ils gagneraient à être plus techniques, plus formatés, comme le sont les bulletins pour les marins.