Nous repartons le 22 juillet vers notre principal objectif, la fameuse montagne qui fait de nos rêves les plus beaux que nous n'ayons jamais eus : l'Alpamayo. Pour s'en approcher, il faut commencer par refaire une partie du trek. Nous sommes beaucoup plus chargés que la dernière fois car nous avons tout le matériel technique de montagne : deux piolets chacun, cordes en plus grand nombre, broches à glace, pieux à neige et dégaines. Les porteurs du Chopicalqui sont revenus nous voir : nous ne devons pas être de si mauvais clients que ça. Nous engageons donc deux porteurs et un muletier avec deux mules. Les porteurs ne porteront nos affaires qu'au-dessus du camp de base, là où les mules font demi-tour pour redescendre. Le premier jour nous reprenons un collectivo jusqu'à Cashapampa, puis nous remontons la même vallée encaissée que deux semaines auparavant. Nous dormons un peu plus loin que Llamacoral pour éviter de se retrouver avec 50 autres touristes. La tentative de pâtes au dîner est toujours aussi lamentable du point de vue culinaire.

Montée au colLe lendemain, après deux heures de marche, nous quittons la route de notre trek pour prendre la vallée qui monte vers le camp de base de l'Alpamayo. Nous l'atteignons en une heure et nous nous abritons quelques instants dans une cabane de muletier, il pleut. Le coin est superbe, surtout grâce à la présence de très beaux arbres à l'écorce rouge et de la belle pyramide élancée posée en face de nous qu'est l'Artesonjaru. Le muletier repart chez lui. Il voulait être payé en dollars, malheureusement nous n'avons plus que des soles. A trois, avec les deux porteurs, ils se perdent pendant 25 minutes dans des abîmes de conversion. Loin de leur faciliter la tâche, nous les embrouillons encore plus en faisant des approximations dans tous les sens. Enfin au final ils y sont arrivés ! Nous remontons ensuite la moraine qui domine le camp de base, et au bout de deux heures nous arrivons au camp moraine à la limite inférieure du glacier. Le lieu est beaucoup moins charmant, nous essayons de trouver un endroit à peu près plat dans ces étendues de gros blocs de pierre charriés par le glacier; l'eau est rare, seul un mince filet coule entre deux rochers 100 mètres au-dessus de notre camp. Nos porteurs sont restés dans la cabane au camp de base pour la nuit. Le matin du 24 juillet, ils nous rejoignent vers 7h et continuent vers le camp suivant, situé à 5300m au col entre le Quitaraju et l'Alpamayo. Nous les suivons quelques heures plus tard. Il faut remonter le glacier qui descend du col, la pente est douce au début et se redresse à la fin à 40° sur 100m. Cette année, le passage terminal juste en dessous du col est en très bonne condition. Les séracs sont très peu menaçants, certaines années ils interdisent tout passage, à moins de ne pas être soutien de famille. Après deux ou trois heures de montée, nous arrivons au col en début d'après-midi. Le panorama devrait être magnifique, mais nous sommes dans le brouillard. Il y a déjà beaucoup de terrasses dans la neige pour les tentes, nous les montons rapidement puis nous nous engouffrons à l'intérieur car il s'est mis à neiger. Les précipitations ne s'arrêteront pas de l'après-midi et continueront encore toute la soirée. Nous dînons dans les tentes. Ambiance. Demain, c'est normalement le "summit day", nous en doutons quelque peu. Par ce temps-là en montagne, on n'est bien que dans la douce chaleur des duvets. Elle a d'ailleurs vite raison de notre anxiété et Morphée nous entraîne loin de ce monde devenu quelque peu hostile.

Le camp sous la neige

Dans la face de l'AlpamayoLe 25 juillet, à une heure du matin, la voie lactée est magnifique, rouge par endroits, et les millions d'étoiles ont à cette altitude assez de luminosité pour éclairer les cristaux de neige et peupler la montagne de milliers de lucioles. Il fait grand beau. La journée sera donc intense et longue. Nous ne nous levons vraiment que deux heures plus tard et nous partons de nuit vers la face sud-ouest, celle qui fait rêver tous les alpinistes, que nous n'avons toujours pas vue. La neige a recouvert la trace qui y mène mais une cordée est passée juste avant nous et nous n'avons qu'à suivre leurs pas. Le premier de cette cordée est un guide péruvien accompagné d'un alpiniste allemand, débutant sans doute. Nous les rejoignons à la rimaye où nous aidons l'Allemand à franchir le passage, debout en crampons sur les épaules d'un des nôtres. Puis nous nous engageons à leur suite dans l'ice-flute que suit la voie, la pente y est de 55-60°sur 350m. L'assurage est excellent, il y a des pieux à neige en moyenne tous les 20m. Les 50 premiers mètres sont en neige, l'ascension est plaisante mais la glace se fait de plus en plus présente au fur et à mesure que l'on s'élève. Et nous nous retrouvons vite dans une situation que l'on évite au maximum dans les Alpes : grimper à plusieurs cordées dans une voie en glace, il est en effet dans ces conditions assez inévitable de s'envoyer des morceaux de glace les uns sur les autres. La dernière cordée revit Verdun puis nous nous efforçons de grimper plus prudemment et donc aussi beaucoup plus lentement. Vers 10 heures, le temps se gâte à nouveau et nous sommes rapidement dans le brouillard. La cordée germano-péruvienne progresse lentement et cette lenteur se répercute sur nos cordées. L'un de nous chronométrera, montre en main, qu'il sera resté 2 heures et demi à un relais, à attendre sous une pluie interminable de blocs de glace de tous gabarits. Nous atteignons tous le sommet en début d'après-midi. On ne voit pas à 20 mètres mais le moment reste intense. Le sommet est une arête extrêmement effilée, à peine 50cm de large, des pentes à presque 80° s'enfoncent des deux côtés dans des abîmes rendus insondables par le brouillard. Voilà notre seul souvenir du sommet de l'Alpamayo.

Au sommet

Nous entamons les rappels de descente dans notre voie de montée. Au milieu de la descente, il se met à neiger. L'ice-flute que nous descendons devient un véritable torrent de neige. Nous arrivons enfin à la rimaye. La trace qui mène au camp a complètement disparu sous la neige, il nous reste à peine plus d'une demi-heure de jour. Il neige toujours, le brouillard se déchire parfois mais ne nous permet pas de repérer nos tentes. Il s'agit d'abord de retrouver l'unique pont de neige qui permet de traverser une grande crevasse qui barre tout le glacier en contrebas. La première cordée part devant pour installer un rappel, trouve le pont de neige. La deuxième cordée part cinq minutes plus tard, mais elle ne voit déjà plus la première et la trace a disparu sous la neige. Elle fonce droit vers la crevasse, à gauche du pont de neige et fait demi-tour alors que le premier de cordée s'enfonce brusquement jusqu'à mi-cuisse... Dans ces conditions, au lieu de vouloir gagner quelques minutes, il fallait évidemment rester groupés. Nous essayons ensuite de suivre l'ancienne trace en sondant sous la neige fraîche avec un bâton télescopique. Nous restons bien concentrés, la moindre erreur d'itinéraire et nous risquons d'errer toute la nuit sur ce glacier, à 5000m. Au bout d'une heure de descente, le brouillard se déchire et dévoile notre camp à une centaine de mètres. Jamais nous n'avons été aussi heureux de voir nos tentes !Le bivouacNous les atteignons à la tombée de la nuit, vers 19 heures. Les étoiles entrevues 17 heures plus tôt n'ont pas menti, c'était bien la journée la plus intense de notre séjour au Pérou. Le lendemain vers 6 heures, nous jetons un coup d'oeil dehors : il fait un temps splendide, le soleil se lève sur l'Alpamayo! Nous sommes tous vite dehors pour le spectacle tant attendu car repoussé à chaque fois : la contemplation de la face sud-ouest de l'Alpamayo, celle que l'on a gravie la veille, celle qui lui vaut le titre de "plus belle montagne du monde". Les quelques moments de bonheur intense dans le froid piquant du petit matin, hypnotisés par cette montagne qui est là, oui enfin là, on ne rêve plus, juste en face de nous, sont à la hauteur de toutes nos espérances et resteront longtemps gravés dans nos mémoires. Nous décidons de lever le camp, il est trop tard pour faire le Quitaraju initialement prévu aujourd'hui et nous n'avons pas le courage d'attendre jusqu'à demain. Nous redescendons du col en deux rappels, dépassons le camp moraine et nous continuons jusqu'au camp de base où nous nous installons confortablement dans la cabane de muletier. Le 27 juillet, nous descendons jusqu'à la route à Cashapampa. Comme la veille, les sacs sont assez lourds (dans les 25 kilos) puisque nous n'avons plus aucun porteur. Les sept heures de descente sont plutôt éprouvantes mais nous sommes assez motivés par l'idée de dormir dans un lit et de manger autre chose que des pâtes pas cuites ou des lyophilisés. Le soir même nous sommes de nouveau à Huaraz, nous nous régalons dans un restaurant où nous avons désormais nos habitudes, soupe à l'oeuf, poulet, frites, Cristal (la bière locale) puis détour par le vendeur de gâteaux et nous nous endormons bien vite, des images - bien réelles maintenant - plein la tête, le coeur gonflé par le sentiment d'avoir vécu quelque chose de fort.

Ce sont alors nos adieux à Huaraz. Comme nous n'avons pas fait le Huascaran mais le Chopicalqui, plus court, nous disposons de deux jours pour faire du tourisme. Balades, marchés couvert et non couvert, sites Pré-Incas, sources d'eau chaude, cinéma local : 8 FRF pour un Mission Impossible II version piratée sur Internet, en VO inaudible sous-titrée espagnol, mais vu la complexité du film, les images même mauvaises suffisent... Adieux à l'hôtel Espana, sa douche plutôt froide et Nelly, patronne grand-mère, chaleureuse parfois jusqu'à l'envahissement ! Adieux à la Cordillère Blanche. Retour Lima en bus de nuit. Encore une grosse nuit !.