Nous
arrivons en avion à Cusco dans la matinée du 2 août. La ville est
belle, très touristique et contraste avec tout ce que l'on a pu voir
auparavant au Pérou. L'ancienne capitale inca a été rasée par les
Espagnols, rendus fous par l'abondance en or de tous les temples de
la ville et bien décidés à en finir avec la civilisation des peuples
du soleil. Ils n'ont cependant pas réussi à supprimer les fondations
des bâtiments, composés de pierres monumentales de plusieurs dizaines
de tonnes. Sur ces fondations indestructibles, ils ont ainsi élevé
de splendides édifices dans le plus grand style colonial et baroque
flamboyant. Cusco est la capitale touristique du Pérou, à juste titre.
Nous nous renseignons sur le trekking que l'on pourrait effectuer
pour aller jusqu'au Machu Picchu, la fameuse cité religieuse. Le classique
trek de l'Inca ne nous intéresse pas : il peut y avoir jusqu'à 400
personnes sur la même étape ! En revanche un couple d'Anglais rencontré
trois semaines auparavant nous avait indiqué un autre trek beaucoup
moins fréquenté. Nous achetons une carte dans une agence de voyage
(difficilement : tout est fait à Cusco pour inciter les touristes
à trekker avec une agence) et nous décidons de partir le lendemain.
A 4h30 du matin le 3 août, nous traversons Cusco animé par les touristes
enivrés sortant de discothèque et nous prenons un bus pour Mollepata.
Cette fois nous partons léger, sans porteurs, avec 4 jours d'autonomie
en nourriture, quelques vêtements et les tentes. A Mollepata, petit
village indien d'une centaine d'habitants, à trois heures de route
de la première ville, Cusco, dont une heure de piste, nous nous rendons
compte que nous n'avons qu'une seule petite casserole pour faire la
cuisine pour sept. A tout hasard, nous faisons le tour du village
pour chercher une popote, sans succès. Mais alors que nous déjeunons,
résignés, au soleil, sur la petite place centrale de ce coin du bout
du monde, un homme arrive droit du ciel vers nous pour vendre une
batterie de cuisine complète ! Nous ne mangerons pas dans une pierre
creuse avec deux morceaux de bois. Le bonheur tient à peu de choses.
Nous
ne connaissons pas vraiment l'itinéraire à suivre. La toute première
partie n'est décrite nulle part. Nous suivons alors un vieil homme
puis pendant quelques heures une jeune fille à cheval qui rentre de
l'école. Nous traversons derrière elle quelques collines arides et
après 6 heures de marche, arrivons dans la vallée du Rio Blanco, chez
elle. Petit achat de bière chez sa mère, mais c'est seulement pour
la remercier... Nous campons un peu au-dessus sur un replat vers 4000
m, au confluent de deux vallées face au magnifique Salcantay (6294m),
montagne sacrée des Incas. Le lendemain, nous montons au col (4500m)
au pied du Salcantay en contournant deux grosses moraines par la gauche.
La face imposante du Salcantay disparaît vite dans la brume et c'est
bientôt à notre tour de plonger dans le brouillard. Au col, on ne
voit pas grand-chose à part les dizaines de cairns construits là par
les Indiens à chacun de leurs passages et couverts de crânes de mules.
Nous redescendons de l'autre côté, le monde minéral de la haute montagne
et le brouillard cèdent vite la place à des alpages d'altitude et
à une bruine froide. Nous dépassons une prairie plate où nous aurions
pu camper et nous nous enfonçons dans une végétation de plus en plus
luxuriante.Le contraste est saisissant entre le monde de glace et de pierres
que l'on vient de quitter et l'exubérance de cette forêt tropicale
de montagne. On y découvre plusieurs espèces d'orchidées, des colibris,
quelques oiseaux multicolores aux chants lancinants plus que mélodieux,
et des mousses, lichens, lianes qui occupent le moindre espace baigné
de temps à autre par un petit rayon de soleil. Nous croisons quelques
paysans qui pratiquent la culture sur brûlis. Ils vivent dans de petites
huttes, leur isolement est étonnant, les enfants vont encore à l'école
à Mollepata (ils ne doivent pas y aller tous les jours !). Le soir
nous campons sur une belle prairie plate à côté de quelques huttes.
Le 5 août nous décidons de ne pas descendre la vallée jusqu'à Santa
Teresa, mais de prendre un chemin qui va vers le site du Machu Picchu
plus rapidement en coupant par la montagne à partir du village de
la Playa. Nous déjeunons au milieu des dindons dans ce petit village,
puis après encore quelques centaines de mètres sur la piste principale,
nous prenons un petit chemin sur notre droite qui n'est pas évident
à trouver (il faut demander aux habitants). Nous traversons d'abord
quelques plantations de café et de bananes où se reposent tranquillement
une dizaine d'indiens qui nous indiquent notre chemin avec enthousiasme
(surtout à Aurélie, la fille du groupe). Après avoir foncé droit sur
un piège à lynx, nous trouvons le bon chemin et parvenons vite à la
forêt vierge de toute intrusion de l'homme. Seul le petit chemin que
nous suivons nous relie au monde des hommes et nous guide dans la
jungle. Sa richesse nous fascine encore et toujours. Nous atteignons
un col et nous redescendons de l'autre côté, toujours dans cette forêt
luxuriante. Nous arrivons subitement sur une petite prairie plate
qui vivote là on ne sait comment. En face de nous, le Machu Picchu
! Moment magique où à peine sortis du couvercle impénétrable et opaque
de la forêt tropicale, on découvre ce site tant de fois rêvé et imaginé.
Le bivouac est magnifique, nous n'en trouverons jamais le point d'eau.
Il est 17h30. Assez frustrés de devoir quitter ce lieu aussi paradisiaque,
nous continuons la descente de nuit. Au bout d'une petite heure, nous
tombons littéralement nez à nez avec le coin d'une ferme, complètement
isolée. Les habitants sont très sympathiques et ils ont de l'eau.
Ils nous proposent de dormir sur la dalle en béton à côté de leur
maison où ils font sécher le café. Pour la première fois de notre
séjour au Pérou, nous décidons de ne pas planter les tentes. Le ciel
nous punit implacablement de notre faiblesse, puisque deux heures
après nous être endormis, allongés sur notre dalle, il se met à pleuvoir,
la pluie ne s'arrêtera qu'au petit matin. Climat tropical dans les
duvets. Nous nous protégeons tant bien que mal avec nos couvertures
de survie, jamais assez grandes pour nous couvrir entièrement d'autant
que le moindre coin de duvet qui dépasse fait immédiatement éponge
et se gorge d 'eau. La dalle de béton n'était pas rigoureusement plate
: ceux qui ont eu la malchance de dormir dans une dépression vivront
le phénomène encore plus douloureusement...
Le lendemain matin, on ne traîne évidemment pas trop
dans les duvets. Tout en faisant sécher nos affaires, nous observons
nos hôtes qui vivent ici en presque complète autarcie avec quelques
poules, lapins, des caféiers et bananiers et trois petits chiots.
Nous descendons dans la vallée et nous suivons le torrent jusqu'à
l'usine hydroélectrique du Machu Picchu. Nous y prenons le train local
(sa vitesse moyenne en comptant les arrêts oscille entre 5 et 10 km/h)
jusqu'à Aguas Calientes, étonnant village complètement dédié au tourisme
qui a poussé comme un champignon tout autour des rails et des sources
thermales. Le matin du 7 août, il pleut et au lieu de marcher une
heure sous la pluie battante, nous rejoignons la foule des touristes
pour prendre un bus luxueux qui nous emmène jusqu'au site du Machu
Picchu. Il nous apparaît d'abord complètement fantomatique dans des
nappes de brouillard qui s'entrelacent. Les constructions sont étonnamment
bien conservées, les gros blocs qui les constituent ont des formes
harmonieuses et s'emboîtent parfaitement. Les nuages se déchirent
peu à peu tandis qu'on prend de la hauteur en direction du chemin
de l'Inca. Un groupe de français en voyage organisé accepte sympathiquement
de partager son guide avec nous et nous découvrons l'histoire du site,
les différents temples, l'organisation étonnante et rigoureuse d'une
cité religieuse inca. Nous grimpons jusqu'au Huayna Picchu observer
le site d'en haut. Au retour, nous empruntons la toute dernière portion
du chemin dallé des incas afin de redescendre sur Aguas Calientes.
Un gamin habillé en petit inca avec des tongs faites à partir de gomme
de pneus nous double en courant ; il coupe les lacets de la route
pour rattraper un bus de touristes qui descend aussi et leur crier
à chaque virage : " Good bye ! ".Moyen de se faire un peu d'argent
de poche. Il s'arrête quand même dix secondes devant Aurélie pour
lui demander sa nationalité et le nom du président français. Quelque
peu troublée, elle répond Mitterrand...
Le lendemain, par le train et un collectivo, nous
rentrons à Cusco où nous flânons toute la journée. Nous prenons un
avion pour Lima le matin du 9 août et nous quittons le Pérou le soir-même.
Dans l'avion, les belles montagnes de la Cordillère Blanche, les balades
dans la jungle, les sites Incas, la musique péruvienne, les bons petits
plats typiques nous manquent déjà...